Paysage. Fiction de la matière, matière à fiction //

Exposition Paysage. Fiction de la matière, matière à fiction //
Photographies, oeuvres papier et sculpture //
Commissariat Jean-Baptiste Guey //
Du 9 au 25 juin 2017 //
Vernissage le vendredi 9 juin de 18h à 22h //

Jean-Michel André, Anaïs Boudot, Amélie Labourdette, Olivia Lavergne,
Lawand, Julien Lombardi, Laurent Millet, Benjamin Ottoz, Raphaelle Peria,
Charles-Henri Sommelette, Nicolas Tourte.
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Héritée de la tradition picturale, la notion de paysage désigne un territoire naturel saisi puis transformé par l’esprit humain, au point de coïncidence de la réalité concrète et du travail de l’imaginaire. Elle organise ainsi le passage de la perception de la nature à sa représentation fantasmée, et, en retour, celui de l’image mentale à sa traduction sur un support concret. L’exposition « Paysage. Fiction de la matière, matière à fiction » rend précisément compte de cette double plasticité du paysage, physique et psychique, en l’articulant au médium de la photographie. Les onze artistes réunis y proposent une vision de la nature déformée par leurs regards intérieurs, contaminée par les pulsions, les abstractions et les accidents de l’imagination. Emancipée de sa fonction documentaire tout en restant ancrée dans la matière réelle, la photographie y révèle son potentiel narratif et fictionnel, déployé à partir de ses ambiguïtés formelles.
Un premier corpus rassemble les photographies réalistes de territoires naturels rendus à une certaine neutralité interprétative, devenus écrans aux projections du public. Border de Jean-Michel André présente une frontière végétale surmontée d’une caméra de surveillance, restituée dans des tons désaturés, comme figée dans la glace. Le paradoxe de la situation, un symbole autoritaire associé à une nature indisciplinée, suscite ici le sentiment d’une incongruité, opportun pour la libre spéculation. Le travail d’Amélie Labourdette procède d’une intention similaire, cette fois appliquée à un paysage rudéral, où la nature reprend ses droits sur des piliers de béton. Leur proximité avec des totems, des ruines archéologiques ou post-industrielles autorise lui aussi la déclinaison d’un large champ d’évocations possibles. Empruntant plus directement ses codes à la fiction, Olivia Lavergne transforme quant à elle le paysage en scène d’une dramaturgie énigmatique pour un personnage saisi sur le vif, dont le public est invité à compléter l’intrigue.
Un deuxième groupe d’artistes inscrit dans la photographie dans un registre plus directement plastique que visuel, déréalisant la représentation du modèle original en lui conférant de nouvelles textures. Charles-Henri Sommelette réalise ainsi des dessins au fusain, dont l’hyperréalisme donne d’emblée l’illusion d’un cliché, néanmoins l’introduction de manques, de flous et de dégradés aménage des zones d’indétermination qui jettent un sérieux trouble dans la perception du spectateur. Intervenant, elle, de manière concrète sur la matière photographique (plus précisément par grattage), Raphaëlle Péria profite du décalage entre sa propre sensation et l’inscription d’un souvenir dans sa mémoire pour proposer une vision dérivée, différée, réappropriée d’un territoire, appréciable pour et dans sa dimension graphique.
Radicalisant la démarche, les travaux d’Anaïs Boudot, de Lawand et de Benjamin Ottoz déréalisent de manière encore plus franche leur sujet. La première isole des fragments de paysage qu’on peine à identifier au premier regard, à travers des images hybrides, à l’aspect proche du dessin. Noche Oscura assemble les parties d’un territoire minéral brisé en deux, symboliquement réparé par une jointure dorée traversante, façon Kintsugi. Intitulée Serendipity, l’art de trouver des solutions au hasard, la série de Benjamin Ottoz stimule elle aussi les appropriations contingentes du spectateur. Pliées, froissées, chiffonnées, les feuilles de papier qu’il peint font apparaître un paysage de concrétions volontairement laissé à un état d’abstraction. Travaillant de son côté au croisement de plusieurs disciplines (sculpture, dessin, photographie, installation), Lawand hybride les logiques de représentation pour réduire les éléments naturalistes à leur minimum signifiant. Ramené à une géométrie concrète, toute en matière et en volume, le paysage est ici reconstitué à partir d’une empreinte ou d’un schème premier, motif d’un processus d’abstraction.
Prolongeant la créativité de la nature, un dernier groupe d’artistes s’inspire de la morphologie environnementale pour recréer des paysages pleinement artificiels. Les compositions de Nicolas Tourte brillent ainsi par leur indétermination première,
dominées par des vides et des silences comme autant de failles interprétatives dans lesquelles l’imagination peut s’engouffrer. Couches de sédiments minéraux, composition de bandes de papier déchirés ou panorama lunaire, Avec un peu d’encre de Chine joue de l’indistinction entre le micro- et le macroscopique, entre le rendu naturaliste et l’agencement de formes abstraites. Tout aussi mystérieuse, la poésie de Julien Lombardi donne forme à des paysages de synthèse déserts et silencieux, plongés dans une ambiance nocturne. Sans marque de reconnaissance temporelle ou culturelle, ils en appellent à un oeil contemplatif, alimentant l’imaginaire d’une scène lunaire propice au fantastique. Incarnant une forme de merveilleux virtuel, les Anti-nuages de Laurent Millet relèvent enfin d’une vision paradoxale: la possibilité de trouver des nuages en négatif au coeur d’une eau déchaînée. Vortex, trous noirs ou anti-matière, ces éléments indéfinissables réagencent l’ordre du monde dans le sens d’une inversion des lois de la physique, brouillant leurs critères de reconnaissance habituels.
A travers chacune de ces propositions, le paysage s’affirme dans cette exposition comme la source d’un émerveillement primitif inscrit dans les archaïsmes de la pensée, tel le « fantastique naturel » décrit par Roger Caillois, moteur d’un travail de l’imaginaire ici placé entre dessin mental et expérimentation plastique.
Florian Gaité

 

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